Accueil Culture L’homme de Culture, chercheur et poète tunisien francophone Mohamed Nadir Aziza dit Shams Nadir, à La Presse (Suite et fin): «Je suis un sadikien, un produit de la double éducation et de la double culture…»

L’homme de Culture, chercheur et poète tunisien francophone Mohamed Nadir Aziza dit Shams Nadir, à La Presse (Suite et fin): «Je suis un sadikien, un produit de la double éducation et de la double culture…»

De la rue du Pacha où il est né, à Paris où il est maintenant établi depuis plusieurs années, après son errance d’intellectuel et de poète «aux semelles de vent» à l’âme quelque peu rimbaldienne, la route pour Mohamed Nadir Aziza que les lecteurs connaissent aussi sous le pseudonyme de Shams Nadir, est tout aussi longue que sinueuse et bien riche en réalisations, réussites et satisfactions. Poète francophone de très bonne notoriété, homme de savoir et de culture, infatigable voyageur entre les pays et les civilisations, inépuisable auteur de nombreux ouvrages de recherche académique et de recueils de contes et de poèmes dont, à titre d’exemples, «La Calligraphie arabe», «Le Théâtre et l’Islam», «Regards sur le théâtre arabe», «Le Chant profond des arts de l’Afrique», «L’Islam et l’Image», «L’Astrolabe de la mer», «Les portiques de la mer», «L’Athanor», «Le chant des sirènes» et d’autres encore,…


A partir de 2001, vous avez été Chancelier de l’Académie mondiale de Poésie de Vérone, en Italie. Quelles sont les fonctions de cette Académie et quels en sont les objectifs ? A-t-elle progressé depuis la date de sa fondation par vous-même ?

L’Académie mondiale de Poésie a été fondée en 2001 à Vérone, la ville qui avait abrité les amours de Roméo et Juliette, sur la base d’une Résolution de l’Unesco proclamant le 21 mars de chaque année Journée mondiale de la Poésie. En juin 2001, sous l’égide de l’Unesco et de la Mairie de la ville d’accueil du siège de la future institution, 60 poètes en provenance des 5 continents, dont 3 Prix Nobel de littérature, furent réunis à Vérone pour créer l’Académie mondiale de Poésie. Je fus élu Chancelier fondateur de cette Académie. Cette Académie a une obligation statutaire : célébrer chaque année, autour du 21 mars, la Journée mondiale de la Poésie avec la participation du maximum de poètes possibles. A cette activité statutaire, se sont succédé rapidement d’autres réalisations : Un Prix Catullo portant le nom du grand poète latin natif de la ville de Vérone et qui fut le rival littéraire de Virgile. Ce Prix est décerné chaque année à un poète italien et à un poète international : en 2022, une poétesse tunisienne fut honorée : Mme Amel Moussa ; en 2023, ce fut une poétesse afghane qui reçut le Prix. Un Concours Poétique, organisé dans les lycées italiens, enrichit également le Programme des activités d’une institution qui fêta fastueusement son 20ème anniversaire en 2021.

Vous êtes aussi le Président du «Programme MED 21». En quoi consiste ce programme et quels sont ses résultats jusqu’ici ?

J’ai fondé ce Programme en 2010, à Rome, à la demande de l’ancien Ministre italien des Affaires étrangères, M. Franco Frattini dont j’étais le Conseiller et l’ami. Le Programme MED21 est constitué par une douzaine de Prix pluridisciplinaires décernés dans une dizaine de pays méditerranéens.

Ces Prix qui concernent aussi bien les sciences humaines et sociales (Prix Ibn Khaldoun) que les sciences exactes (Prix Eurêka), aussi bien l’écologie (Prix Gaïa) que l’économie (Prix Hannon), aussi bien la musique (Prix Zyriab) que l’architecture (Prix Sinan), aussi bien la condition des femmes (Prix Fatima Fihria) que la médecine (Prix Ibn El Jazzar) ; etc.Beaucoup de ces Prix sont décernés en Tunisie où ils bénéficient du concours de l’Association de soutien du Programme MED21 que préside M. Larbi Benattia, de leurs Comités directeurs et de leurs animateurs : Mesdames Houbeb Ajmi, Laura Troïsi, Najoua Bey, Messieurs Hédi Khiari, Habib Kazdaghli, Tarak Chérif, Michèle Guillaume-Hofnung, Marc Bonnel, Cheikh Khaled Bentounès, etc.

Les objectifs principaux de ce Programme sont de renforcer le dialogue et la coopération entre les rives de la Méditerranée, d’encourager l’aspiration à l’Excellence et d’offrir aux jeunes un exemple à suivre. Les lecteurs intéressés peuvent se rendre compte directement des résultats obtenus en assistant aux cérémonies de remise de ces Prix ou en lisant les comptes-rendus qu’en font certains journalistes, comme votre collègue Alya Hamza qui, depuis le lancement de ce Programme, suit, avec bienveillance, sa progression.

Vous avez beaucoup écrit et publié, plusieurs de vos livres ont été traduits en différentes langues, vous êtes un best-seller en Amérique Latine et vous êtes très connu au Liban et en Afrique, votre appartenance à la francophonie est très sûre et confirmée. Mais comment se fait-il qu’aucun de vos livres ne soit publié chez un vrai grand éditeur français, Gallimard ou Le Seuil, par exemple qui ont pourtant publié d’autres écrivains francophones, Rachid Boudjedra, Amine Maalouf, Yasmina Khadra ? Y a-t-il là un satané oubli ou c’est votre écriture qui ne répondrait peut-être pas à tous les critères de ces éditeurs exigeants ?

Il est vrai que mes contes et poèmes ne cadrent pas avec une littérature «typique» qui serait soit engagée et militante soit folklorique et limitée à la région et à la culture dont je suis issu. J’ai toujours aspiré à l’universel et sans doute cet intérêt pour la recherche de sources d’inspiration aux quatre coins de l’horizon n’était-il pas conforme à ce que l’on attend d’un écrivain aux origines indigènes… Dans tous les cas, il semble bien que les éditeurs étrangers ne partagent pas les mêmes critères de sélectivité que leurs collègues en France. Pour moi qui pensais que la pire critique aurait été que l’on dise que tel ouvrage est satisfaisant «pour un auteur exotique provenant du monde arabe ou du Tiers-monde», me voici rassuré par l’accueil fait à mes ouvrages dans plusieurs régions du monde.

Vous ne semblez pas vous mêler beaucoup à la chose politique et vous vous dites même «apolitique». Est-il vraiment possible pour un intellectuel arabe de votre trempe d’être vraiment «apolitique» ? N’y aurait-il pas dans toute écriture littéraire un engagement politique à droite ou à gauche ?

Je ne crois pas avoir revendiqué d’être apolitique. Mais il est bien vrai que je n’aime pas l’aspect politicien que peut parfois revêtir la pratique politique produisant des scories peu ragoûtantes. J’en ai été victime lorsque certaines «âmes charitables», jaloux peut-être du succès de la première session de l’Université euro-arabe itinérante inaugurée, en 1986, par le Premier Ministre de l’époque, me qualifièrent de mzaliste, juste au moment où celui-ci était évincé par le Président Bourguiba.Certes, j’avais collaboré avec Mzali au moment où, avec Hassan Akrout et Frej Chouchane, nous conjuguions nos efforts avec lui et Béchir Ben Slama pour réussir le lancement de la Télévision tunisienne. Certes, par l’intermédiaire de la Revue Al Fikr, une amitié intellectuelle s’était établie entre nous que je n’ai jamais reniée. Mais, jamais, il n’y eut de connivences politiques entre le dirigeant destourien qu’il était et l’indépendant non inscrit dans aucun parti que j’étais. Si j’avais eu à m’engager, de manière militante, c’est aux côtés de Si Ahmed Mestiri et de son MDS que je l’aurais fait. Mais ma conviction que l’intellectuel doit préserver sa liberté de pensée et de conscience m’a toujours éloigné de tout embrigadement politicien.

La Tunisie vous manque-t-elle ? Quels souvenirs vous reviennent-ils quand vous pensez à votre pays natal ?

Je n’ai jamais arrêté de venir en Tunisie. Mais depuis l’implantation des Prix MED21 dans le pays, mes visites sont devenues plus fréquentes et plus régulières. Cela n’empêche pas, de temps à autre, la nostalgie et le désir vivace de revoir les amis et les paysages : La rue du Pacha où je suis né et la Médina adjacente, Sidi Bou Saîd où j’ai résidé quelque temps, Hammamet et la maison Sébastian, Tabarka où j’avais réussi à amener Aragon et Léo Ferré, Nefta et sa Corbeille, Zarzis et sa palmeraie, Matmata et ses demeures troglodytes…

Xavière est votre femme et votre compagne de toujours. Elle est française. Elle écrivait dans le journal national francophone tunisien «La Presse de Tunisie» des articles sur le cinéma qu’elle signait «Nadia». Qu’avez-vous envie de lui dire ici, après tant de belles années de vie conjugale et de complicité intellectuelle ?

Plusieurs de mes poèmes sont inspirés par elle ou lui sont dédiés. Ce sont des chuchotements qui ne sont pas à déclamer devant un large public. Xavière fut constamment ma compagne de vie et de lutte. Elle participa à l’ensemble de mes activités. Elle fut le solide appui aux heures du doute et le réconfort aux heures des épreuves. Avec elle, nous avons réussi à donner un visage à notre postérité : notre fils aimant et aimé, Samy.

Une dernière question : L’Algérie vient de prendre la décision de substituer, dans ses enseignements public et privé, la langue anglaise à la langue française qui était jusque-là la 2ème langue de ce pays maghrébin ? Que pensez-vous, en votre qualité de poète et de chercheur francophone, de cette décision ?

L’acquisition d’une langue supplémentaire est une bonne chose, à condition que ce ne soit pas au prix de la perte d’une autre ni que cet enrichissement ne soit pas le résultat d’un ressentiment. J’espère que l’enseignement du français et d’autres langues connaîtront un essor bénéfique pour l’ensemble car il vaut mieux avoir, dans une demeure, plusieurs fenêtres plutôt qu’une seule.

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